Vous en conviendrez, nul besoin de chercher bien loin pour trouver des exemples de pléonasmes : la presse et nos conversations en regorgent ! Si certaines tournures pléonastiques sont désormais inattaquables (ou presque…), car entrées dans l’usage, de nombreux pléonasmes dits « fâcheux » prolifèrent, au nez et à la barbe (!) de la sémantique et de la syntaxe françaises. Voici une sélection des pléonasmes les plus courants et les plus regrettables, que vous aurez soin d’éradiquer de votre vocabulaire ou de soigneusement doser pour entrer dans les grâces des puristes… et des autres.

Qu’est-ce qu’un pléonasme ?

Avant de nous pencher sur des exemples, faisons un point sur la définition du pléonasme. Son étymologie est particulièrement éclairante : ce mot nous vient du grec pleonasmos, qui signifie « surcharge » ou « surabondance ».

Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), il s’agit d’un « terme ou [d’une] expression qui ajoute une répétition (consciente ou inconsciente) à ce qui a été énoncé ». Plus simplement, vous faites un pléonasme dès que vous ajoutez, dans un énoncé, une idée ou une fonction grammaticale déjà contenue dans un autre terme.

Pourtant, le pléonasme n’est pas nécessairement répréhensible. Plusieurs catégories de pléonasmes sont donc à distinguer.

Le pléonasme stylistique est un pléonasme licite

À l’origine, le pléonasme est une figure de style licite. C’est pour cette raison qu’on le retrouve chez certains grands auteurs, qui cherchaient très légitimement à ajouter à la force de leur discours ou à insister sur un aspect de celui-ci.

Le Tartuffe, de Molière, en renferme un exemple célèbre : « Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu ».

Certes, toute signification métaphorique exclue, peut-on on voir autrement qu’avec ses yeux ? Ici, à travers cette insistance (répétition du verbe « voir », accolé à « yeux »), Molière a simplement souhaité mettre en exergue l’émoi du témoin oculaire.

Si l’emploi volontaire de cet effet littéraire n’est pas à blâmer, il en va autrement des pléonasmes commis par inadvertance !

La périssologie est un pléonasme fautif

Malgré ce que nous avons vu dans le paragraphe précédent, dans le langage contemporain, le « pléonasme » s’accompagne de l’idée d’une faute de langue ; il est devenu indissociable d’une certaine négligence ou d’une méconnaissance de l’étymologie des mots employés.

En linguistique, le terme adéquat pour désigner un pléonasme vicieux est « périssologie ». Par abus de langage, et hors de la sphère spécialisée, on se limite aujourd’hui à parler de pléonasme pour désigner ces formulations capillotractées.

Il sera justement question de ce type de pléonasme dans la suite de cet article. Ceux-ci sont généralement de nature syntaxique ou sémantique, et constituent des fautes de français.

Quelques pléonasmes sont consacrés

Loin de nous l’idée de nous attaquer à des pléonasmes entrés dans l’usage ! Même si leur redondance est avérée, il serait vain, désormais, de vouloir remettre leur légitimité en question. C’est le cas, par exemple, des tournures suivantes :

 

  • Saupoudrer de sel : sau signifie « sel ». Littéralement, « saupoudrer » revient donc à « poudrer de sel pour assaisonner » (source). Dès lors, l’expression « saupoudrer de sel » est pléonastique, et des tournures comme « saupoudrer de sucre glace » n’ont ni queue ni tête. Rassurez-vous : nul besoin de brûler vos livres de cuisine ! La langue évoluant, « saupoudrer » s’est peu à peu éloigné du « sel » pour s’étendre à l’idée de « répandre une matière fine et poudreuse sur quelque chose ».

 

  • Aujourd’hui : ce terme est formé de « jour » et « hui », issu du latin hodie et signifiant « en ce jour ». « Hui » étant tombé en désuétude, il est admis que le mot « aujourd’hui » ne recèle plus aucun pléonasme.

 

  • S’immiscer dans quelque chose : comme le rappelle à juste titre le Dictionnaire des difficultés de la langue française, « s’immiscer » est formé du latin in (dans) et miscere (mêler). Le « dans » suivant le verbe est donc redondant, mais admis.

10 pléonasmes parmi les plus courants

Monter en haut

Vins des glaces : un alcool rare qui repose sur le mont Blanc. France Info, 13 décembre 2018.

Puisque le verbe « monter » renferme déjà l’idée de se déplacer dans une logique ascendante, le « en haut » n’a pas lieu d’être. Il en va de même des expressions comme « monter à l’étage ». Notons toutefois qu’il est tout à fait logique de préciser « monter au premier étage », « monter au troisième », etc., si le bâtiment est réparti sur plusieurs planchers.

Au jour d’aujourd’hui

Anthony Rimbert (AS Moulins) : « Chez nous, ils ont cet amour […] du maillot. Actufoot, 24 mai 2019.

Tournure bénie pour meubler ou se donner un air savant… Suite à ce que nous avons vu plus haut sur l’étymologie d’ « aujourd’hui », je vous laisse apprécier l’effet poupées russes de ce rejeton du XXIe siècle…

Une hémorragie de sang

Que faire en cas de saignement de nez ? Sirtin, 21 février 2015.

Du latin haemorrhagia, « flux de sang ». Certes, au sens figuré, une entreprise peut subir une hémorragie de capitaux, par exemple. Mais au sens propre, on se gardera d’accoler « sang » à « hémorragie ». Pensez à « hémoglobine », qui a la même racine !

Une apparence extérieure

5 astuces pour arrêter de se comparer aux autres. Santé Magazine, 21 mai 2019.

L’ « apparence » désigne « ce qui paraît extérieurement » (source). Parler d’ « apparence intérieure » est donc un contre-sens, quand évoquer une « apparence extérieure » est un pléonasme à bannir.

Notre société actuelle

La vulgarité moderne. France Culture, 24 mai 2019.

Dès que l’on ajoute un possessif (ma, notre) devant le substantif « société », cela implique que l’émetteur fait référence à la société dans laquelle il évolue. Il s’agit donc, forcément, de la société qui existe au moment où il s’exprime, et donc de la société actuelle. Même son de cloche pour « notre société contemporaine ». Il est de bon ton, par conséquent, de se cantonner à « notre société ».

Incessamment sous peu

Européennes : le drôle de vote des Britanniques. Europe 1, 23 mai 2019.

L’Académie française est formelle : « incessamment » et « sous peu » sont des expressions trop proches pour être accolées. Pour éviter la répétition, on se limitera à l’une ou l’autre : « il jouera incessamment » ou « il arrivera sous peu ».

Mais toutefois

Vin de Corse : Clos Venturi, Domaine Vico U Fornu 2015. La revue du vin de France, 21 mai 2019.

Chacun de ces termes exprime déjà une réserve ; les apposer ou les mettre en présence dans une même phrase est inutile. Choisissez l’un des deux pour construire votre phrase. Il en va de même pour « mais cependant », « mais malgré tout », etc.

Un rouge rutilant

Jean Dujardin héros malgré lui. La Croix, 4 janvier 2019. 

L’adjectif « rutilant » renvoie étymologiquement à la couleur rouge (rutilare, teindre en rouge). Parler d’un rouge rutilant est donc pléonastique. Jean-Pierre Colignon prône néanmoins la tolérance, arguant que le sens de « rutilant » tend de plus en plus à dépasser ses limites étymologiques.

Une orthographe correcte

La réforme d’orthographe que la Belgique n’a pas envisagée. Paris Match, 4 septembre 2018.

Voici un exemple de pléonasme qui passe totalement inaperçu, à tel point que l’on pourrait presque l’ajouter aux rangs des extensions de sens admises renseignées plus haut. Le mot « orthographe » est formé du grec orthos (droit, régulier, juste) et de graphein (écrire). Littéralement, il se réfère donc à l’idée d’écrire dans le respect des règles. L’ajout d’adjectifs comme « correcte » ou « bonne » frise la tautologie, mais est de plus en plus courant… Libre à chacun de se faire un avis sur l’épineuse question de cette expression et d’agir en conséquence.

Une autre périssologie (soulignée en rouge) s’est glissée dans l’article de Paris Match cité en exemple ci-dessus… 

Voire même

Bayern Munich : Franck Ribéry – Arjen Robben, le roman d’un duo iconique. France Football, 24 mai 2019.

Nous terminons avec une expression qui fait débat. Certains la définissent pléonastique, quand d’autres l’estiment tout à fait licite. Le nœud de l’imbroglio réside dans le sens de « voire ». Le Littré rappelle que le sens originel (et vieilli) de « voire » est « vrai », « vraiment ». Ce n’est que plus tard qu’il s’est apparenté à « même » et que s’est posée la question du pléonasme. Ainsi, l’expression « voire même » ne saurait être formellement condamnée, bien que son usage demeure indubitablement archaïque. Dans le doute, je vous recommande de vous en tenir à un simple « voire ».

Haro sur les pléonasmes ?

Bien entendu, il ne s’agit que d’une sélection de tournures pléonastiques glanées çà et là. Nous n’en avons dressé qu’une ébauche, et nous aurions pareillement pu nous appesantir sur les cas du « petit détail », du « taux d’alcoolémie », de la « marche à pied » ou encore du « don inné » !

Si certains, comme nous l’avons vu, sont à deux doigts d’entrer dans l’usage ou, du moins, tolérés dans des circonstances particulières, d’autres sont irrévocablement à bannir de votre vocabulaire. Si vous avez un doute, n’hésitez pas à consulter un dictionnaire de français de type Larousse, une encyclopédie, un dictionnaire étymologique ou même à m’envoyer un message : je suis toujours ravie d’échanger autour des subtilités de la langue française ! 

Et vous ? Quelles sont ces périssologies qui vous hérissent le poil ?

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